Poupées russes

Installée confortablement sur la banquette arrière d'un taxi parisien, je feuillette un magazine.
Je ne lis pas, je regarde juste les images, en tournant machinalement le papier glacé qui colle à mon index humide.
Et puis la page 102, mes doigts saisissent le coin droit du feuillet mais ne le pince pas, ne tournent pas la page.

Mes yeux se fixent, vision hypnotique que nul ne pourrait soudain déranger.
Qui oserai venir importuner une rencontre avec de telles créatures ?
Qui oserai briser l'angélique qu'elles déploient, pleines d'innocence provocatrice exhibée avec l'audace de tout ce que la grâce peut avoir d'érotique ?
Qui sont-elles, ces femmes de porcelaine dont la profondeur du regard vous transperce de part en part, au point de ne plus pouvoir détourner le vôtre ?
Quels sont les reliquats, les souvenirs de la petite fille que je fus qui, mêlés à la femme que je suis aujourd'hui, ont provoqué en moi l'irrésistible attraction pour elles, pour les poupées russes de Marina Bychkova ?

Le taxi roule, roule encore ; j'ai oublié d'où je viens, j'ignore où je vais, heureusement que le chauffeur le sait...